ENS rue d’Ulm
Salle Simone Weil
2014 les mardi 14 janvier, 11 février, 11 mars, 15 avril, 13 mai.
S’il est un point limite de l’usage fait — surtout par J. Lacan et quelques-uns de ses élèves — de la linguistique en psychanalyse, c’est bien celui des hallucinations. Non que la prévalence des hallucinations verbales dans les vécus psychotiques ait manqué de se confirmer ces dernières années : la thématique, développée principalement par Jules Seglas à la fin du XXe siècle sur la base des travaux de l’École de Charcot, ignorée hors des cercles d’influence francophones et germanophones, a fini par devenir une idée mainstream. Au point d’influer tant sur des modes thérapeutiques dits « cognitivistes », voire, ces dernières années, sur divers travaux de neurologie appliquée – y compris dans la technologie militaire, avec le fameux “microwave auditory effect”. Toutefois, on s’est relativement peu préoccupé de la prévalence des modèles linguistiques que J. Lacan a tenté d’ appliquer aux hallucinations verbales , et son œuvre reste en pratique la seule à le faire.
On peut assez succinctement particulariser les hallucinations psychotiques par trois traits :
— ce sont des proférations, des « énonciations », même si parfois silencieuses,
— elles sont affectées d’un trait d’étrangeté (xénopathie, écho, etc.)
— elles tendent à avoir un effet de « réalité »
Or on constate que J. Lacan tente de rendre compte de chacun de ces traits en utilisant des instruments linguistiques.
Si l’on examine par exemple le modèle du graphe (du désir), issu originairement des « loops » décrits par les pionniers de la cybernétique et développé tout au long des années 1950-60, on constate que d’une part, sa forme la plus simple (en 1966) apparaît adossée au phénomène clinique des hallucinations verbales, et qu’en outre plusieurs notions linguistiques y sont convoquées :
1.) — Le recoupement entre la chaîne signifiante et les effets de signifié, en une sorte d’objection au modèle dit du « partage des eaux » décrit par Saussure : là où Saussure voit un parallélisme, J. Lacan veut voir une rétroaction ; la version simplifiée du graphe — un seul étage — est présentée comme devant suffire à rendre compte des vécus psychotiques
2.) — Les « modalités dans le verbe russe » décrites par R. Jakobson dans un article célèbre ; qui a d’ailleurs tellement inspiré J. Lacan qu’il a souhaité, sur cette base, différencier deux types d’hallucinations, reprises dans son analyse du cas Schreber, à partir d’une simple modification de deux types de relations entre message et code.
3.) — Celle de ce que doit la structure du sujet — psychotique ou non — à la forme des pronoms personnels ; J. Lacan utilise ici largement Damourette et Pichon, en au moins deux points, l’accord de personne du sujet des propositions relatives, et la différence entre personne subtile et personne étoffée.
4.) — Les formes de négations — seul point qui a jamais été repris de façon consistante par les commentateurs, mais le plus souvent d’une façon tronquée, en particulier, sans mettre en perspective la distinction proposée par Damourette et Pichon par rapport aux discussions des linguistes.
Ces traits sont repris et amplifiés dans la dernière version de l’article sur le cas Schreber "D’une question fondamentale ; nous nous proposons lors de ce séminaire d’en suivre les antécédents et les prolongements.
> > On dispose donc ainsi d’éléments d’une théorie linguistique des hallucinations auditives — si ce n’est, justement, qu’il s’agit de phénomènes « vécus comme hallucinés » et s’exceptant à partir de là de l’enquête du linguiste.
Nous nous proposons donc de détailler les types d’usages que fait J. Lacan des cinq points que nous venons de décrire, ce qui constitue une version extrême de la mutation qu’il décrit par ailleurs de la « linguistique » à la « linguisterie ».
1.) — De quels phénomènes cliniques est-il question ? On tentera de relever en particulier les phénomènes de corps impliqués : différents types de vécus de perplexité, de désappropriation, d’écho, de désignation…
2.) — À partir de là, quelle éventuelle « torsion » par rapport aux usages initiaux chez les linguistes concernés ?
3.) — Pourquoi choisir telle ou telle théorie linguistique plutôt qu’une autre ? Rappelons que Lacan s’intéressait à la linguistique depuis les années 1920…
4.) — Est-il possible d’envisager un opérateur qui rende compte de la « torsion » imposée aux concepts linguistiques utilisés ? Dans quelle mesure les formes spécifiques de temporalité et de sexuation développées par J. Lacan peuvent-elles en répondre ?
Références
• Lacan J. : Écrits, Seuil, Paris 1966.
• Lacan J. : Le séminaire, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, Paris 1974.
• Lacan J. : Le séminaire : Les psychoses, Seuil, Paris
• Lacan J. : De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, réédition Seuil, Paris
• Lacan J. : Le séminaire : Encore, Paris Seuil 1974.
• Lacan J. : Le séminaire : Le sinthome.
• Lacan J. : Autres Ecrits.
• Sauvagnat F. : « Édouard Pichon et J. Lacan : Convergences et divergences », Actes du colloque international « Damourette et Pichon »( Cerisy 2009), Editions Lambert Lucas 2010.
• Sauvagnat F. : « Écholalie et subjectivation dans la psychose infantile », in revue Art et Thérapie, déc. 1999, nº 68/69, p. 94-98.
• Sauvagnat F. :« Les constructions cliniques autour du silence des pulsions », in Langage et construction clinique, Sous la direction de J. Giot et J. Kinable, Presses Universitaires de Namur, 1999, p. 259-292.
• Sauvagnat F. : « À propos des conceptions françaises de la schizophrénie : de la discordance à la problématique RSI », in Synapse, Journal de Psychiatrie et Système Nerveux Central, nº 169, octobre 2000, p. 49-58.
• Sauvagnat F. : « Hallucinations psychotiques et énonciation », in La voix, dans et hors la cure, nº thématique, revue Psychologie clinique, nº 19, 2005, p. 93-125.
• Sauvagnat F. : « Remarques sur les rapports entre J Lacan et N Chomsky » [“Remarks on the relationship between J. Lacan & N. Chomsky”], in Revue Internationale Langage et Inconscient, nº 3, janvier 2007, p. 102-120.
Sauvagnat F. : « La question de la structure du silence en psychanalyse, in Insistance 2011/2, p. 78-91. »
• Sauvagnat F. : « Phénomènes élémentaires et fonction de l’écrit », in Quarto, Revue Freudienne de Belgique nº 68, octobre 1999, p. 39-44.
• Sauvagnat F. : « Sur la difficulté du repérage des phénomènes élémentaires chez les enfants », in Déclenchement et non déclenchement dans les psychoses, Section Clinique de Rennes, 1999-2000, ouvrage collectif, p. 33-60.
• Sauvagnat F. en collaboration avec Sauvagnat R. : « La question de l’inexistence du corps : à propos du vitalisme », in Trames, actualité de la psychanalyse, nº 30-31, avril 2001, p. 151-167.
• Sauvagnat F. : « Det ubevidse er kroppen », in De fire grundbegreber — om Lacan : “Psykoanalysens fire begreber” (« L’inconscient c’est le corps », in Les quatre concepts fondamentaux — à propos des quatre concepts fondamentaux de J. Lacan ; en danois) éd. Rasmussen R. et Thambour T., Forlaget politisk revy, Koebenhavn, 2002, p. 55-79.
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• Sauvagnat F. : « Body structure in autistic and psychotic children », in Helena de Preester & Veroniek Knockaert (eds) “Body image and body schema”, John Benjamin Publishing Co, Advances in Consciousness research 62 (2005), p. 153-172.
• Sauvagnat F. E. Pichon et J. Lacan : une tentative d’état des lieux des influences, convergences et divergences, in actes du colloque de Cerisy-la-Salle, Damourette et Pichon, sous la direction de Michel Arrivé, ed Lambert-Lucas 2010, p. 285-299.
• Sauvagnat F. (en collaboration avec P. Bonny) : La question du genre Chez Damourette et Pichon ; quelques implications des notions de sexuisemblance et sexuiférence, spécialement pour les sciences humaines, in actes du colloque de Cerisy-la-Salle, Damourette et Pichon, sous la direction de Michel Arrivé, éd. Lambert-Lucas 2010, p. 233-247.