Les mardis 15 janvier 2013, 11 février, 5 mars, 9 avril, 14 mai.
François Sauvagnat, et divers linguistes et psychanalystes.
La question du genre — précision : sexué — se répartit traditionnellement, en linguistique dans des débats sur la nature plus ou moins « motivée », « sémantique », etc, ou au contraire « arbitraire », « purement syntaxique » de la notion. On sait par ailleurs que cette partition binaire du débat a été confrontée à des langues où la notion de genre ne semblait pas opérer de façon aussi massive que dans les langues sémitiques et une bonne partie des langues indo-européennes, voire semblait franchement absente : langues dites agglutinantes européennes de type finlandais ou hongrois, langues à classes nominales, en particulier bantoues, où le nombre de classes nominales est la plupart du temps supérieur à dix. Néanmoins, on constate que dans ce dernier cas, des regroupements ont été proposés (notamment sur la base d’une correspondance entre singulier et pluriel), par lesquels on retombait sur un nombre de « genres » guère plus élevé que dans le cas du polonais (où l’on distingue masculin / féminin / neutre ; animé / inanimé ; anthropique / métanthropique). De cette façon, on constate que des langues « sans genre » (sexué) ont pu être considérées comme des langues à genre non sexué (regroupements de classes non sexuées).
Un autre point important est la réalisation pratique du genre sexué dans les pronoms : loin que le genre y apparaisse réalisé de façon discrète et isolée, il semble loisible de considérer que pour les langues à genre sexué, comme le français, le pronom personnel est en fait rarement d’un seul sexe ; le cas général est plutôt qu’il réalise un, voire plusieurs, chevauchements, entre masculin, féminin et neutre — à moins qu’il ne désigne de l’insexué. Damourette et Pichon, par exemple, distinguent six types de sexuisation dans les pronoms en français (insexuisé, épicène, agyne, omnigénérique, virisemblant, purement féminin), où l’on constate qu’il n’existe pas, en français (au contraire de ce que l’on constate dans certaines langues sémitiques), de pronom « purement masculin », ni d’article « à la fois féminin et neutre ». Aussi curieux que cela puisse sembler, on est donc contraint de considérer que le pronom est, le plus fréquemment, au moins « bi-sexuel ».
On sait que les premières exportations du terme genre (sexué) dans les sciences sociales datent des années 1950 ; leur usage en sociologie est esquissé dans les années 1970. Ce qui est extrêmement frappant dans ces « constructions » est leur extrême éloignement par rapport aux problématiques linguistiques à proprement parler. Massivement, il a été demandé au « genre sexué » de fonctionner à l’instar d’une classe sociale, dotée de fonctions aussi fixes que spécifiques — bref, de désigner une « identité ».
Que la révolte contre ce type de spécification fixe, à partir de la fin des années 1980, ait pris le plus large appui sur la psychanalyse (directement ou indirectement) est bien connu — c’est la thèse dite « queer ». Reste à en décrire la nécessité : à supposer qu’il ne s’agisse pas d’un gigantesque malentendu (comme le voudrait l’hypothèse formaliste, du genre « purement syntaxique »), on est justifié à demander ce qui, dans la psychanalyse, ne veut voir dans la différence des sexes, précisément, que des différences (ou des mixtes instables, et ceci d’emblée avec la notion initiale de « bisexualité » qui enchantait Hirschfeld), qu’aucune « identité » ne saurait combler. L’inconscient, affirmait Freud, ne veut rien savoir de la différence des sexes — au sens d’une identité.
Pour cela on s’intéressera notamment à une fonction du langage traditionnellement considérée comme assez marginale : l’insulte. Pour faire l’hypothèse d’une secrète solidarité qui pourrait la lier à l’inexistence de la différence (identitaire) des sexes. Dans un article, la regrettée Claudine Normand s’arrêtait sur le suffixe « -asse » pour remarquer qu’il impliquait à la fois un sens défavorable et une référence au genre féminin. On pourrait lui objecter que son équivalent italien, lui, connaissait deux variétés (-accio et -accia) renvoyant à deux genres et non un seul. Néanmoins, il est frappant de voir avec quelle fréquence cette référence à la différence des sexes, à leur dissymétrie, y est constante, et le lien constamment affirmé, en psychanalyse (depuis l’Homme aux Rats), entre nomination et sexuation n’est pas pour nous en écarter.
Tout se passe en effet comme si la nomination, comme supposée fondation de l’être du sujet, devait en passer par son envers sexué : l’insulte, la « diffamation » sexuelle. Nous en examinerons un certain nombre de cas de figure, notamment hallucinations, formes symptomatiques, formations sociales.
Quelques références :
Références
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• Lacan J. : Le séminaire, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, Paris 1974.
• Lacan J. : Le séminaire : Les psychoses, Seuil, Paris
• Lacan J. : Le séminaire : D’un Autre à l’autre, Seuil, Paris
• Lacan J. : Le séminaire : Encore, Paris Seuil 1974.
• Lacan J. : Le séminaire : La logique du fantasme (non publié).
• Lacan J. : Le séminaire : L’acte psychanalytique (non publié).
• Sauvagnat F. : « Édouard Pichon et J. Lacan : Convergences et divergences », Actes du colloque international « Damourette et Pichon », Cerisy 2009 sous la direction de Michel Arrivé, Ed Lambert Lucas, Limoges 2011.
• Sauvagnat F. : « Événements de corps dans les psychoses infantiles », intervention au colloque « Souffrance et invention dans l’autisme », Univ. Rennes II, à paraître.
• Sauvagnat F. : « Écholalie et subjectivation dans la psychose infantile », in revue Art et Thérapie, déc. 1999, nº 68/69, p. 94-98.
• Sauvagnat F. : « Hallucinations psychotiques et énonciation », in La voix, dans et hors la cure, nº thématique, revue Psychologie clinique, nº 19, 2005, p. 93-125.
• Sauvagnat F. : « Remarques sur les rapports entre J. Lacan et N. Chomsky » [“Remarks on the relationship between J. Lacan & N. Chomsky”], in Revue Internationale Langage et Inconscient, nº 3, janvier 2007, p. 102-120.
• Sauvagnat F. : « Phénomènes élémentaires et fonction de l’écrit », in Quarto, Revue Freudienne de Belgique nº 68, octobre 1999, p. 39-44.
• Sauvagnat F. : « Sur la difficulté du repérage des phénomènes élémentaires chez les enfants », in Déclenchement et non déclenchement dans les psychoses, Section Clinique de Rennes, 1999-2000, ouvrage collectif, p. 33-60.
• Sauvagnat F. en collaboration avec Sauvagnat R. : « La question de l’inexistence du corps : à propos du vitalisme », in Trames, actualité de la psychanalyse, nº 30-31, avril 2001, p. 151-167.
• Sauvagnat F. : « Det ubevidse er kroppen », in De fire grundbegreber — om Lacan : “Psykoanalysens fire begreber” (« L’inconscient c’est le corps », in Les quatre concepts fondamentaux — à propos des quatre concepts fondamentaux de J. Lacan ; en danois) éd. Rasmussen R. et Thambour T., Forlaget politisk revy, Koebenhavn, 2002, p. 55-79.
• Sauvagnat F. : « Position actuelle de la question des hallucinations chez les enfants psychotiques », in Les enjeux de la voix en psychanalyse, dans et hors la cure, ouvrage collectif, Presses Universitaires de Grenoble, 2002, p. 59-84.
• Sauvagnat F. : « Body structure in autistic and psychotic children », in Helena de Preester & Veroniek Knockaert (eds) “Body image and body schema”, John Benjamin Publishing Co, Advances in Consciousness research 62 (2005), p. 153-172
• Sauvagnat F. La question du silence en psychanalyse, in Actes du colloque Musique et Inconscient, Cerisy-la-Salle, 2011.
• Sauvagnat F., Fatherhood and naming in J. Lacan’s works in The Symptom, Online Journal for Lacan.com. (http://lacan.com/fathernamef.htm, 2003